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Le sexe pour l'eau - Comment les femmes paient le prix de l'eau

Sareen Malik, Coordinator, African Civil Society Network on Water and Sanitation (ANEW) and SWA Steering Committee Vice-Chair
19 Feb 2020

La corruption dans le secteur de l’eau n’est pas nouveau. Mais lorsque la monnaie pour accéder à ce service est le corps d’une femme, la corruption montre un axe différent. Malheureusement, beaucoup d’entre nous sont inconscients de l’impact néfaste des rôles du genre et des responsabilités sociales liés aux femmes en tant que principal fournisseur d’eau pour les ménages.

Les fournisseurs d’eau peuvent demander un pot-de-vin sous forme de sexe en échange de la fourniture de ce service de base. Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par cette corruption non monétaire sexuée appelée «sextorsion». L’Association internationale des femmes juges (AIFJ) utilise le terme «sextorsion» pour décrire «la forme répandue, mais souvent ignorée, d’exploitation sexuelle et de corruption qui se produit lorsque des personnes occupant des postes à haute autorité – qu’il s’agisse de fonctionnaires, de juges, d’éducateurs ou de forces de l’ordre – personnel, ou employeurs – cherchent à extorquer des faveurs sexuelles en échange de quelque chose en leur pouvoir d’accorder ou de refuser »(Facilité de gouvernance de l’eau du UNDP-SIWI 2017). Sextorsion n’est ni reconnue dans les enquêtes mondiales et nationales sur la corruption, ni dans aucune convention internationale. Par conséquent, cette question reste souvent cachée et suscite le scepticisme.

En septembre, nous avons eu une grande réunion communautaire avec des femmes et des filles de quartiers informels à Kibera, proche de Nairobi. Leurs histoires et  expériences étaient traumatisantes. Elle nous ont parlé non seulement de la contrainte et des agressions qu’elles subissent lorsqu’elles vont chercher de l’eau, mais également du comportement de séduction et de ‘grooming’ qui prévaut aux points d’eau. Certaines filles ont déclaré: “Oui, elles ont été séduites au point d’eau” et d’autres ont été violées à un autre moment, tout en allant chercher de l’eau. Cela est bien possible car l’eau n’est pas abordable, est inaccessible et des cartels s’emparent parfois de ces points d’eau. Une des questions critiques qui a été soulevée au cours de la réunion était «pourquoi les vendeurs d’eau sont-ils toujours des hommes?» Et «pourquoi les femmes ne peuvent-elles pas être actives dans ce domaine?».

Au-delà des violations sexuelles et du viol, les conséquences négatives sur la santé découlent également des rapports sexuels pour de l’eau. Nous voyons des cas de grossesse chez les adolescentes et d’abandons scolaires. Le travailleur communautaire de Kibera nous a partagé que les jeunes filles éprouvaient des irritations dans leurs parties intimes en raison d’une mauvaise hygiène résultant d’un manque d’accès à des services adéquats d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène (EAH). Et au lieu de chercher et de comprendre que cela venait réellement des mauvaises conditions d’hygiène, le conseil qui a été donné à ces jeunes filles était qu’elles devraient avoir des relations sexuelles pour résoudre ce problème. Lors de la réunion, un membre du Parlement qui a grandi à Kibera nous a dit que cela se passait depuis une décennie, voire plus. À l’époque où l’eau n’était pas fournie aux villages informels, les gens de la communauté se rendaient au club de nuit, où le gardien ouvrait la canalisation principale, mais cela entraînait toutes sortes de complications.

Cinq ans de cela, lorsque nous menions des groupes de discussion dans le cadre du programme d’approche des droits de l’homme, soutenu par WaterAid et KEWSANET, de nombreuses femmes nous ont partagé qu’elles échangeaient des faveurs sexuelles pour obtenir de l’eau. Pendant quelques années, cette question n’a suscité aucun intérêt – les gens restaient dans le déni. Mais grâce au mouvement #MeToo, nous avons réintroduit le thème du sexe pour l’eau dans notre travail de plaidoyer et avons même réussi à présenter ce thème lors de la Semaine mondiale de l’eau à Stockholm en 2018. De plus, nous avons compilé des témoignages dans  une vidéo sur des femmes et des hommes ayant participé à la sextorsion. En septembre, avec KEWASNET, nous avons lancé le programme « Sex for Water » au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie, soutenu par le Danish People’s Aid. Ce programme vise à réduire la violence sexiste dans le secteur de l’EAH en s’adressant principalement aux problèmes liés au sexe transactionnel et au sextorsion.

 

Le sexe pour l’eau ne peut être un sujet isolé – une action collective est nécessaire – entre les communautés et les prestataires de services, ainsi que les gouvernements. Nous avons été témoins de beaucoup de silence autour de la sextorsion, de la violence et de la question des fournisseurs de services d’eau informels. Cela doit être dominant et intégré dans la législation et dans l’initiative de surveillance, avec une reconnaissance spéciale de la sextorsion en tant que forme de corruption. En tant que vice-présidente du comité directeur de la SWA, je voudrais mettre en lumière ces histoires inédites sur le terrain par le biais de cette plate-forme et sensibiliser le public au fait que ces femmes et ces filles devraient être davantage au centre de nos discussions et actions en EAH.

Ce sujet est plus crucial que jamais étant donné la nature interdépendante des objectifs de développement durable: avec l’objectif 6.1 visant un accès universel et équitable à une eau potable et abordable pour tous, l’objectif  5 mettant l’accent sur l’égalité des sexes et l’objectif 16.5 demandant de réduire toutes les formes de corruption. L’objectif de gérer en toute sécurité les services, est ambitieux, mais, comme nous le savons tous, l’eau est un droit humain et la protection de ce droit doit être une priorité pour tous les gouvernements. Cela ne peut être réalisé que par des approches concertées et ciblées qui reconnaissent que la violence sexiste peut même faire partie du simple acte de collecte d’eau.