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Sanitation and Water for All Secretariat
15 Jul 2020

La pandémie de COVID-19 a compliqué davantage l’exercice délicat visant à trouver un point d’équilibre entre le droit des consommateurs à disposer de services d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement et la santé financière des prestataires de services. Du fait des conséquences de la crise sanitaire, il est devenu de plus en plus difficile pour les compagnies du secteur de l’eau de recouvrer leurs coûts, ce qui menace la fourniture des services, la qualité de l’eau potable et l’emploi. Pour approfondir la réflexion sur cette problématique, l’Institut de l'eau de l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill (UNC), qui compte parmi les partenaires de SWA, a organisé un forum virtuel afin de réfléchir au meilleur compromis possible entre la pérennité financière des fournisseurs d’eau et la garantie pour les consommateurs, en particulier les plus vulnérables, de disposer d’un accès à l’eau pour lutter contre le virus.  

Le Forum virtuel a débuté par un état des lieux de la situation à l’échelle mondiale au cours duquel un panel composé d’intervenants de divers horizons a fait part des défis actuels rencontrés par ces prestataires de services et de leurs effets financiers à long terme :

  • Al-Hassam Adam, d’End Water Poverty (EWP), un réseau d’organisations de la société civile, a notamment souligné l’importance de protéger les consommateurs vulnérables tout en exprimant des inquiétudes quant à la santé financière des compagnies de l’eau. Dans une pétition mondiale, EWP a lancé un appel aux gouvernements pour qu’ils garantissent de toute urgence les droits des personnes à disposer d’« une eau salubre, physiquement accessible et abordable », renoncent à couper l’accès au réseau d’eau à quiconque, règlent les factures d’eau des personnes n’étant pas en mesure de le faire et qu’ils paient l’approvisionnement en eau des établissements publics pendant la pandémie.
  • Jabulile Mashwana a rappelé qu’avant la crise de la COVID-19, l’entreprise Eswatini Water Service Corporation rencontrait déjà des difficultés pour recouvrer ses factures car, selon elle, les utilisateurs partent du principe que l’eau est un service gratuit. Aussi les résultats financiers de la société étaient-il déjà mis à mal. Toutefois, Mme Mashwana a également précisé qu’en tant que fournisseur de service d’utilité publique, son entreprise a pour mission de garantir la continuité de ces services. L’Eswatini Water Service Corporation n’a donc procédé à aucune augmentation de tarifs au cours des trois derniers mois et veille, grâce à une collaboration avec l’organisme national de gestion des catastrophes, à ce que tous les consommateurs aient accès à leurs services en fournissant gratuitement de l’eau dans les zones rurales reculées au moyen de camions-citernes. L’entreprise reconnaît par ailleurs que si l’eau est un droit fondamental, elle doit néanmoins être fournie de façon efficace et économique. Selon elle, la distribution d’eau ne peut être gratuite pour tous mais doit rester abordable et accessible. En réponse à une question sur le rôle du gouvernement, Mme Mashwana a répondu que ce dernier devait continuer à investir dans les infrastructures et à inciter les distributeurs d’eau à être rentables. M. Gatel a quant à lui souligné qu’il incombait au gouvernement de garantir le droit à l’eau de ses citoyens tout en veillant à ce que ces derniers aient les moyens de régler leurs factures. 
  • Dominique Gatel, de la Fédération professionnelle française des entreprises de l'eau (FP2E), et représentant du secteur privé, a abordé le problème de l’effet de la crise sur les revenus des opérateurs en France, où l’accès à l’eau ainsi que son caractère abordable sont obligatoires en vertu de la législation. Les municipalités sont tenues de recouvrer intégralement les coûts associés aux services de distribution par le biais de la facturation. Elles ont le choix d’assurer elles-mêmes la prestation de service (auquel cas les recettes sont « sanctuarisées » et ne peuvent être utilisées à d’autres fins) ou de la sous-traiter par le biais d’appels d’offres transparents. Près de 40 % des coûts des opérateurs proviennent des investissements, 30 %, de la masse salariale et les 30 % restants, de l’achat de fournitures. Or, la pandémie a des incidences sur les recettes de ces entreprises, qui, en raison de leurs obligations réglementaires, ne peuvent réduire leur masse salariale ou leurs achats de fournitures et qui, par conséquent, n’ont d’autres choix, en cas des difficultés financières, que de diminuer leurs investissements, une situation qui entraîne des effets préjudiciables pour l’avenir. 
  • Jorge Werneck, qui dirige l’Office de réglementation de l’eau, de l’énergie et de l’assainissement de base dans le District fédéral du Brésil, a expliqué qu’il était difficile à l’heure actuelle de préserver la position de neutralité réglementaire du Gouvernement vis-à-vis des citoyens et des entreprises. M. Werneck a ajouté que les entreprises du secteur de l’eau au Brésil connaissaient actuellement une baisse de leurs revenus, et que, dans certaines régions du pays, 50 % des consommateurs, sans emploi pendant la pandémie, n’étaient plus en mesure de payer leurs factures d’eau. Les autorités doivent donc rester informées, analyser la situation et négocier avec les compagnies afin de garantir la continuité des services de distribution d’eau. Tout l’enjeu après la pandémie consistera à recouvrer les coûts engagés, ce qui annonce des discussions difficiles. Pour ce faire, les acteurs impliqués sur les marchés, dans la tarification et les pouvoirs publics devront assumer leurs responsabilités.
  • Dale Whittington, économiste et professeur à l’UNC de Chapel Hill, a suggéré d’examiner la situation dans son ensemble, notamment la manière dont ces pertes financières seront réparties et qui devra les supporter. Si la plupart des personnes s’accordent à penser que ce sont les détenteurs de capitaux et non la main d’œuvre qui doivent assumer les pertes occasionnées, il est compliqué pour les compagnies de l’eau des pays de l’hémisphère sud de faire supporter leurs pertes par les actionnaires car il s’agit d’entreprises publiques n’ayant pas de dettes. En outre, elles ne peuvent réduire leurs dépenses d’investissement car près de la totalité de leurs recettes servent à financer la main d’œuvre et l’achat de fournitures. Comme elles ne peuvent pas non plus emprunter à l’heure actuelle sur le marché des capitaux, seules trois possibilités s’offrent à elles pour limiter leurs pertes financières : 1) obtenir des financements de la part d’un échelon supérieur du gouvernement ou de donateurs internationaux, 2) réduire les salaires ou 3) continuer à exiger que la plupart de leurs clients s’acquittent de leurs factures. Sur ce dernier point, la question reste toutefois de savoir comment cibler les subventions afin que la majorité des consommateurs puissent continuer à régler leurs factures d’eau.
  • Selon Luis Andres, Chef économiste au sein du Water Global Practice, un organisme du Groupe de la Banque mondiale, il est avant tout nécessaire de quantifier le déficit de financement actuel et de concevoir un mécanisme d’octroi de liquidités afin de répondre aux besoins de financement des compagnies. Ces dispositifs de soutien gouvernemental aux entreprises de services publics doivent néanmoins reposer sur des règles précises. De plus, les subventions doivent être mieux utilisées et cibler uniquement ceux qui en ont besoin. En effet, l’expérience montre que la plupart des aides sont versées à des groupes n’étant pas en difficulté financière. Des données de meilleure qualité ainsi qu’un meilleur ciblage sont donc nécessaires. Une simple méthode de ciblage géographique pourrait permettre, par exemple, de soutenir les habitants des quartiers insalubres. 
  • Selon Dale Whittington, demander à l’État de combler ces déficits n’est pas la solution, tous les secteurs cherchant actuellement à en faire autant. Pour le professeur, il n’est pas justifié que tout le monde ait accès à l’eau gratuitement. Qui plus est, la gratuité de l’eau pour tous poserait plusieurs problèmes : cette démarche, onéreuse, inciterait les personnes à utiliser davantage d’eau et serait difficilement réversible. Toujours selon lui, le gel des factures d’eau à long terme risque de coûter très cher.
  • Pour conclure, plusieurs intervenants ont souligné le fait que si la pandémie de COVID-19 constituait un défi, puisqu’il convenait notamment de s’assurer que les solutions mises en œuvre dans l’urgence n’auraient pas de conséquences négatives à long terme, elle offrait également de nouvelles possibilités, en permettant entre autres de trouver d’autres façons de collaborer, d’améliorer la performance des fournisseurs de services, de mieux utiliser les données et la technologie et de tirer des enseignements. 

Le Forum virtuel s’est poursuivi avec un examen approfondi de la situation au Ghana. Clifford Braimah, de la Ghana Water Company, a indiqué que si, avant la crise sanitaire, sa société ne fournissait pas d’eau 24h/24 et 7j/7, elle était aujourd’hui complètement débordée. Mais les prestataires de services s’inquiètent surtout de savoir comment ils vont recouvrer leurs coûts, de la façon dont seront effectués les remboursements, et si le Gouvernement disposera des fonds suffisants pour ce faire. Joseph Antwi, du Ministère ghanéen des finances, a précisé que le Gouvernement avait créé un fonds dédié au remboursement des opérateurs du secteur de l’eau. Clifford Braimah a cependant attiré l’attention sur le fait que la consommation d’eau avait augmenté de 25 % et non de 10 % comme l’annonçaient les estimations, et que les montants prévus pour couvrir les pertes étaient par conséquent insuffisants.Selon Vida Dut, d’IRC Ghana, la complexité de la gouvernance du secteur EAH constitue l’un des principaux défis que pose la résolution des problèmes d’inéquité entourant la fourniture de services d’eau dans les zones rurales et périurbaines. Les systèmes de distribution d’eau relèvent en effet d’une multitude d’administrations différentes et sont très fragmentés. En l’absence de la tenue de registres adéquats, il est difficile de fournir des informations fiables permettant aux prestataires de services intervenant dans les zones rurales d’obtenir le remboursement de leurs coûts. Aussi le manque de clarté sur les modalités de ces remboursements a-t-il conduit certains opérateur publics et privés à suspendre leurs services. 

À l’instar du panel mondial, le Ghana a toutefois conclu que la pandémie avait permis au pays d’identifier clairement le problème posé par la fragmentation du secteur, et devait servir à déterminer comment mieux le restructurer en le dotant notamment d’un dispositif de surveillance idoine, d’un système d’informations cohérent et d’un mécanisme de redevabilité renforcée.