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Eau et assainissement : le calvaire des femmes atteintes de handicap

Saima Ashraf, President, Able Plus Welfare Organisation and UNICEF Global Goodwill Ambassador
18 Oct 2019

Je vais me permettre d’essayer de parler au nom de toutes les femmes atteintes de handicap qui sont affectées de façon disproportionnée par le manque d’approvisionnement en eau et d’assainissement gérés en toute sécurité, toutes celles qui n’ont pas voix au chapitre, celles qui sont laissées de côté. Pour cela, je voudrais partager une expérience personnelle.

Sur la route du retour de l’université, notre bus s’est arrêté près d’un petit hôtel au bord de la route, près de Chichawatni, une petite ville de la province du Pendjab, au Pakistan. Le chauffeur a bruyamment annoncé la durée de l’arrêt afin que les passagers puissent se reposer et se rafraîchir. Il a également averti tout le monde qu’il n’attendrait pas les retardataires à l’heure du départ. Les passagers n’ont même pas attendu que le bus s’arrête complètement pour commencer à descendre. Deux minutes plus tard, il ne restait que quelques femmes dans le bus et j’étais l’une d’entre elles. Mon frère (mon aidant) s’était déjà précipité hors du bus. J’ai appelé plusieurs fois le chauffeur pour qu’il m’aide avec mon fauteuil roulant. Il s’est finalement retourné : « Qu’est-ce que vous voulez ? » Je lui ai répondu que je souhaitais qu’il sorte mon fauteuil du bus, car j’avais besoin d’utiliser les toilettes.

« Où se trouve le passager qui vous accompagne ? » Sa question était légitime. « Il est déjà descendu. » Le chauffeur a alors sorti mon fauteuil. L’étape suivante consistait à rejoindre le fauteuil roulant à la porte du bus. J’ai regardé autour de moi et demandé à une dame de m’aider à aller jusqu’à la porte. Elle m’a traînée jusqu’au fauteuil roulant. Les passagers commençaient à présent à revenir et ont attendu que je sois descendue pour pouvoir monter. « Elle n’aurait pas dû boire en chemin », a murmuré l’un des passagers en regardant ma poitrine. « Est-ce qu’elle avait vraiment besoin de sortir alors qu’elle est en fauteuil roulant ? », a ajouté un autre. « Dépêchez-vous et revenez vite, nous allons être en retard », a lancé le chauffeur. L’un des passagers a poussé mon fauteuil vers les toilettes des dames. Malheureusement, je n’ai pas pu utiliser les toilettes et j’ai fait demi-tour à l’entrée : il y avait quatre marches pour s’y rendre et la porte était trop étroiteJ’ai dû me retenir pendant quatre heures de plus. Pour remonter dans le bus, j’ai dû refaire le même parcours du combattant. Tout le monde me regardait à nouveau, comme devant un numéro de cirque. Une fois que je me suis installée, mon frère a jeté ma thèse sur mes genoux : « La prochaine fois, ne me demande pas de te ramener à la maison depuis l’université. »

Sur ma thèse, une larme a coulé et je n’ai rien dit. Maintenant, cela dit, mes larmes ne sont plus muettes, je leur ai donné une voix. C’est plus que jamais essentiel, car je ne suis pas seule. D’après le Rapport mondial sur le handicap, plus d’un milliard de personnes de plus de 15 ans dans le monde vivent avec un handicap, soit 15,3 % de la population. Cela signifie qu’en moyenne, un ménage sur quatre comporte une personne atteinte de handicap. Les femmes et les filles atteintes de handicap subissent des taux supérieurs de violence liée au genre, d’abus sexuel, de négligence, de mauvais traitements et d’exploitation que les femmes et les filles sans handicap.

Grâce à notre organisation, Able Plus, j’ai pu travailler à l’échelle du Pakistan et de ses provinces pour sensibiliser les personnes aux problèmes des femmes atteintes de handicap en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène. J’ai également plaidé pour cette cause lors de forums régionaux comme la Conférence sud-asiatique sur l’assainissement (SACOSAN) ainsi que sur des plateformes mondiales comme la Réunion des ministres du secteur 2019 de SWA au Costa Rica. Les solutions et les problèmes sont étroitement liés. Un premier pas dans la bonne direction serait par exemple de s’assurer que les services d’assainissement sont inclusifs et accessibles, au travers d’une standardisation des toilettes dans les lieux publics. Les obstacles physiques sont faciles à identifier et à corriger, mais comment lutter contre les barrières sociales, culturelles et institutionnelles ? L’implication des personnes atteintes de handicap dans les programmes et les prises de décision en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène à tous les niveaux de gouvernement pourrait les aider à faire valoir leurs droits et leur dignité grâce à une meilleure visibilité et une plus grande participation. Cela pourrait également ouvrir la voie à la lutte contre les discriminations sexuelles, sociales et culturelles.

Saima Ashraf, Présidente d’Able Plus Welfare Organisation et ambassadrice de bonne volonté de l’UNICEF, lors de la Réunion des ministres du secteur, au Costa Rica